CE FOU DE JON AVAIT RAISON !
Le virus du patriotisme m’a piqué avec une fulgurance inouïe, quand j’ai commencé ma vie loin de ma famille et en terres étrangères.
Au contact et en rapport pluriquotidiens avec les perceptions que les autres s’étaient forgés du pays, des perceptions supportées de façon affreusement absurde par des contre-vérités ou par l’omission volontaire souvent malintentionnée d’autres vérités, je me suis retrouvé imbriqué dans un engagement qui fit de moi une sorte de prédicateur dont la bonne parole tournerait toujours autour d’Haïti.
Pendant mes études en France, je partageais les appartements d’un même immeuble avec un ami zaïrois. Il fréquentait une église protestante et décrocha une invitation à diner chez une gentille famille. Il eut le malheur (a-t-il du se dire) de négocier une place à table pour moi.
Tout se passa de façon posée et polie en débutant par la prière pour rendre grâce avant de débuter la dégustation. Je ne suis pas de nature à proposer des sujets de conversation quand je me trouve en compagnie de gens que je ne connais pas. Probablement pour rompre le silence pesant à table, l’hôte fit le pari de débuter la conversation sur la guerre de l’indépendance Haïtienne. Et comme il choisit de répéter (bêtement) ce que les français qui osent aborder le sujet, sortent comme cause de la défaite des troupes de Napoléon, J’ai réfuté d’un revers de mais la thèse de « soldats décimés par la fièvre jaune » et j’ai commencé à lui raconter tel un conteur passionné l’épopée qui a terminé par la proclamation de 1804.
Mon ami Zaïrois, très gêné par la suite me dira quand j’ai rejeté sa thèse, j’avais repoussé l’assiette vers le centre de la table et je n’y avais plus touché jusqu’au café que j’avais aussi refusé.
Bien entendu depuis ce jour, il avait compris qu’il ne fallait plus jamais m’inviter à des trucs on l’on risquerait de parler d’Haïti.
En fait le rapport qui ressemble le plus avec ce que je partage avec Haïti, c’est celui d’un fils avec sa mère. Avec le temps et avec la conjoncture actuelle un deuxième rapport serait celui d’un soldat déserteur en quête de pardon.
Mes amis les plus proches sont ceux avec qui nous partageons avant toute chose ce patriotisme pur défini comme l’amour inconditionnel pour Haïti. Ils sont nombreux à partager cette idée de faire d’Haïti le sésame, la clé qui ouvre nos portes. Certains jeunes en formation en France en ont fait l’expérience. Des amis que je chéris énormément juste à cause de ce lien ne m’ont jamais déçu.
Mon jeune frère s’étonne encore de l’accueil reçu lors de ma première rencontre réelle avec mon ami le Professeur Herbert Joseph à New York. Je voulais lui faire la surprise par une visite impromptue et non programmée. Je suis arrivé devant la porte de son bureau après midi, à l’heure de sa pause. J’évoquai toutes les causes justifiant ma présence dans un état d’urgence absolu et il m’envoya normal et littéralement chier.
Tout bascula quand j’ai prononcé ce pseudo qui m’identifiait dans un groupe ou l’on avait l’habitude de discuter en faveur d’Haïti.
Il m’accepta avec une effusion de joie réelle et non feinte et jusqu’à présent mon frère refuse de croire que ce jour-là on se voyait pour la première fois.
Je vécus une situation rangée dans le même ordre avec l’ancien Directeur, Monsieur Mario Andresol. De passage en Haïti, je le contactai pour le saluer et lui signifier ma présence en Haïti. Connaissant l’ampleur de ses responsabilités, j’étais loin de le voir débarquer chez moi, avec une escorte qui fit peur aux gens du quartier. Ce même jour, sans rendez-vous, nous nous retrouverons aussi en compagnie des professeurs Herbert et Jean-Maret Joseph. Nous parlâmes d’Haïti puisque c’est Haïti qui est le ciment de notre amitié.
Très récemment, une amie m’a craché une grande vérité en me disant que ma passion pour Haïti me fait oublier que je ne suis pas le seul Haïtien à aimer son pays. Ceci, parce que je n’accepte pas certaines réflexions sur le pays et sur sa situation. Et peu importe d’où viendrait cette réflexion.
Certains comportements m’insupportent et me tirent de mes gonds et j’oublie l’espace et le temps pour exprimer ce que je ressens.
J’ai du mal à comprendre pourquoi une vidéo mettant en scène « un blanc qui s’exprime parfaitement en créole » deviendrait viral sur les réseaux sociaux.
Il y a deux ou trois ans, une vidéo d’un professeur étranger ayant écrit un livre sur la bataille de Vertières plaça ce livre et la fameuse bataille en tête de l’actualité. Je me suis dit, heureusement que les Haïtiens n’ont pas attendu qu’un étranger en parle pour vénérer et valoriser cette bataille. L’édition du livre globalement fut une bonne chose dans la mesure ou il aura permis à d’autres lecteurs de pénétrer ce pan d’histoire occulté à dessein.
Aujourd’hui, une situation similaire se reproduit après avec la publication d’une série d’article du New York Times expliquant les bases de la pauvreté d’Haïti en reprenant surtout un fait historique aussi caché de l’histoire de France et qui a été présenté avec une dénomination inappropriée et malveillante. Il s’agit de la rançon exigée par la France pour la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti après une victoire dans les suites d’une grande guerre contre les troupes de Napoléon. Les journalistes ont prouvé qu’il ne s’agit pas de la « dette » de l’indépendance mais « d’une rançon », d’une escroquerie contre une petite nation qui appliqua les grands principes universels de la déclaration des droits de l’homme.
Il y a deux semaines, un fameux violoniste français intervenait sur Radio France Culture sur la participation de la France dans la guerre entre La Russie et l’Ukraine. Ceci me fit rapporter par un collègue neurochirurgien. En fait le musicien émettait des doutes sur les raisons jusque-là évoquées pour justifier la participation de la France. Il réfutait particulièrement tout ce qui semblait vouloir tourner au nom des principes de droits de l’homme et des libertés. Il trouvait ces arguties teintées d’une vraie hypocrisie. Il disait comprendre mal comment une nation qui a appauvri un pays d’esclave qui s’est battu pour son indépendance en lui imposant une dette (rançon) peut parler encore des droits de l’homme et de libertés.
Mon collègue qui écoutait l’entretien au volant de sa voiture m’avoua avoir dit :
-
Merde ! Ce fou de Jon avait raison !
Au moins, un autre citoyen français a appris ce que l’histoire son pays a voulu cacher !
Dr Jonas Jolivert
Marseille 23/05/2022